Hier soir, j’ai pris un peu à la dernière minute une place dans un train-couchette, pour aller rendre visite à une parente âgée à l’autre bout de la France pendant trois jours. (Visite en maison de retraite la plus ruineuse de tous les temps, mais c’est ainsi, elle mérite bien que je vienne la voir pour une fois que j’ai le weekend libre.)
Dans ma rame, il y a un gros groupe d’étudiants dans le domaine du spectacle qui doivent se produire dans une grande salle le lendemain (c’est à dire aujourd’hui), et deux d’entre eux sont assignés à mon compartiment. Ils discutent de choses diverses avec un autre de mes voisins de couchette, qui finit par se proclamer médium — très prisé des politiciens selon ses dires. L’un des deux étudiants semble extrêmement réceptif à ce sujet, et le médium prend complètement le contrôle de la discussion, à partir de cet instant c’est un quasi-monologue où il décrit longuement et extensivement ses « dons ». Le jeune homme lui demande s’il accepterait de lui dire ce qu’il voit sur lui. Le médium lui prédit complaisamment une superbe carrière dans le spectacle — prédiction prodigieusement bateau, à la « dans les prochains mois, vous recevrez une superbe opportunité professionnelle, puis pendant un moment vous aurez une période de vide, mais il faudra garder confiance car elle ne sera que passagère, et patati, et patata ». Il complète sa prédiction par une espèce de nettoyage énergétique, pour faire bonne mesure. Je roule les yeux et me restreins mentalement afin de ne hurler qu’intérieurement.
Le temps passe, la conversation s’éteint, la lumière aussi, on essaye de dormir. Certains dorment, certains ronflent, je reste désespéremment éveillée et essaie de ne pas écouter les ronflements. Le plafond est illuminé par les reflets d’une vidéo qu’un des ronfleurs regarde sur son portable en dormant…
Le train s’arrête. Rien d’inquiétant, ça arrive. Les ronflements sont d’autant plus audibles qu’ils ne sont plus noyés dans le plaisant bruit de fond du train. Hm, le train est arrêté depuis longtemps quand même. Comme c’est le milieu de la nuit, il n’y aura pas d’annonce sauf en cas de réelle urgence, et je me dis que, là, ça fait vraiment longtemps, et qu’il doit y avoir un problème. Après de longues heures d’arrêt, le train repart et je réussis enfin à dormir, bercée par le roulis du train et apaisée par le chuchotement des rails.
On se réveille tous un peu en même temps à l’approche de [nom de la gare censuré]. Une annonce du chef de bord nous informe que le train a eu un souci technique cette nuit, que nous avons des heures et des heures de retard, que nous devrons tous descendre à [nom de la gare censuré] et qu’ils sont en train de nous concocter une rame de secours au petits oignons, rien que pour nous. (J’écris ceci dans une voiture de première classe aux deux tiers vide. Je crois que c’est la première fois de toute ma vie d’adulte que je voyage en 1ère.)
Tout le monde se met à discuter. Les deux étudiants sont très inquiets pour leur spectacle, il semble qu’ils pourront arriver avant le lever de rideau, mais il y a beaucoup de détails techniques à régler dans la salle et les trois quarts des membres de leur troupe se trouvent dans ce train. Ils en discutent avec le médium.
Malgré ma compassion pour eux et mon inquiétude quant à ma situation personnelle — vais-je pouvoir me rendre à la maison de retraite aujourd’hui? — je trouve la situation hilarante et me demande si les deux étudiants voient l’ironie dans le fait que leur interlocuteur n’ait pas prévu cette panne. Si cette pensée leur vient à l’esprit, ils n’en laissent rien paraitre.
Le “médium” ne pert pas de temps et dit qu’en fait il avait reçu un signe de la panne la veille avant de partir pour la gare ! Il interroge longuement ses pouvoirs puis leur déclare avec une parfaite assurance que « pour les balances, ce sera juste », mais que ça va le faire et que le spectacle sera un grand succès. D’ailleurs, les balances ne seront pas un problème, car il les soutient avec son pouvoir, qui « répare même les usines ».
Oké, c’est pas bien de se moquer des gens, et j’aurais mieux fait de réviser mes cours que de raconter tout ça. (Je vais réviser maintenant, rassurez-vous.) J’espère que le spectacle se passera bien et que je vais réussir à atteindre cette fichue maison de retraite avant la fin des heures de visite.
Si quelqu’un a lu ce pavé jusqu’au bout, il mérite bien que je lui souhaite bon appétit.


Il va falloir l’écrire d’abord !